Du 27 février au 28 avril 2024, la Bibliothèque nationale de France François Mitterrand a exposé à Paris une sélection d’archives du groupe punk français Bérurier noir. Le fonds est constitué des donations de FanXoa (François Guillemot) et mastO (Thomas Heuer), chanteur et saxophoniste du groupe. En 2021, ils ont tous deux confié une partie de leurs souvenirs à la BnF.
Marge et transgression
Dans l’histoire de Bérurier noir, la Zone (ce peuple des marges agrégeant toutes sortes de « sauvages de la civilisation » dont les chroniqueurs du fantastique social – journalistes, nouvellistes ou chansonniers – ont exploité la pré tendue « dangerosité ») apparaît dans le style artistique, indissociable de tout un style de vie, tout comme elle est estampillée dès 1987 sur l’album Abracadaboum. Tandis que la pochette affiche le label (fictif) du « Folklore de la Zone Mondiale », le premier titre de l’opus est « Nuit apache » (gangs de voyous tatoués du début du XXè siècle).
La force de cette exposition, réalisée par Émilie Kaftan, est qu’elle ne tombe pas dans le piège muséographique de cette définition qui dirigerait les sens, dans le même temps qu’elle étoufferait la subversion. Il y a au contraire beaucoup de liberté dans les agencements et comme une volonté d’encourager l’interprétation des objets, de leurs biographies et de leurs récits.
Ça commence avec la poupée – le pantin punk de FanXoa – qui porte un brassard nazi barbouillé de feutre ; il y a aussi ces vestes militaires tâchées qui scandent le refus de l’autorité et, surtout, de l’autoritarisme toujours susceptible de se muer en dictature.
Dès la fin des années 1970, il y a eu un jeu parfois ambigu des punks avec les insignes nazis ; provocation ultime et mal absolu, ou violence-reflet que l’on renvoie à une société qui ne veut pas voir ce qu’elle préfère cacher : la structure des inégalités, le racisme et les abus d’autorité. D’où les masques qu’on porte toutes et tous, et dont la scénographie bérurière a largement fait usage.
Dans le vif des concerts, la subversion jaillissait littéralement des riffs de guitare secs et nerveux de Loran (Katracazos), comme des stridences du saxo de mastO et de la voix de FanXoa. Sans oublier LauL et Dédé (la boîte à rythmes, membre à part entière du groupe qui martelait ses beats minimalistes sur lesquels Mistiti posait ses pas de danseuse-performeuse dont les gestes s’articulaient aux sons de la rébellion).
Les Bérus se concevaient plus comme une troupe qu’un groupe ; une « raïa » selon leur propre terme, c’est-à-dire une famille choisie. Avec d’autres, ils ont saturé l’espace sonore des friches et des squats de l’Est parisien : quelques usines désaffectées dont les murs ont tremblé, au cœur des années 1980, sous les coups de boutoir d’un punk français dont Bérurier noir était l’un des groupes-phares, fondé un soir de février 1983.
La Bataille de Pali-Kao donne à entendre l’énergie fondatrice de ce moment. Elle a été livrée à Paris, 22 rue de Pali-Kao, dans une ancienne papeterie du quartier de Belleville ; au début du siècle, c’était le quartier des Apaches et Médéric Chanut – leur tatoueur – a tenu son officine dans l’arrière-salle d’un bistrot de la même rue.
T.I.N.A.
L’histoire s’est jouée entre deux concerts : le premier à l’Usine Pali-Kao en février 1983, le dernier à l’Olympia en novembre 1989. Composant la mémoire vive d’une génération et de ses écorchures, elle a fait avec la crise économique qui battait son plein, la montée de l’extrême droite en France (dans la rue comme dans les élections) et l’horizon fermé par les impérialismes – soviétique autant qu’américain.
En France, le « tournant de la rigueur » est annoncé en mars 1983 par le ministre des finances Jacques Delors. Comme ailleurs, ce qu’on ne tardera pas à appeler le « néolibéralisme » est présenté comme une nécessité par les gouvernements conservateurs. En écho aux propos de Margaret Thatcher, première ministre britannique, beaucoup prétendent qu’« il n’y a pas d’alternative » ; ça a donné un acronyme : TINA, pour There Is No Alternative.
À leur manière, les punks ont proposé une alternative – et un rock alternatif – qui a scandé leurs désirs doublés d’une ferme intention de résister en passant dans le dos des pouvoirs cherchant à imposer telle façon de vivre ou de penser.
Tout ça est palpable dans l’exposition Béru où les objets, les fragments de texte, les K7 et les différents visuels présentent autant de situations où l’urgence d’exister devient une politique de l’instant : c’est toi et moi, ici et maintenant !
Si on ne savait pas toujours ce qu’on voulait, on savait ce qu’on ne voulait pas. Cette négation créatrice apparaît comme le ferment d’une véritable volonté de fédérer à la marge, en rassemblant toutes celles et ceux qui ne trouvaient pas leur place et pensaient qu’il y en avait tout de même une à prendre !
Si les punks français des années 80 se composaient majoritairement d’une jeunesse blanche issue des classes moyennes et populaires, il y avait – tout particulièrement chez les Béru – une véritable volonté d’inclusion qui correspondait à un refus définitif des systèmes d’exclusion : ceux du capitalisme, du racisme et du sexisme.