La violence est-elle inhérente au genre humain ou, au contraire, s’est-elle construite au fil de l’histoire avec l’émergence des sociétés modernes ? Est-elle, comme le suggère Hobbes, constitutive des humains qui, dans leur forme naturelle, sont dans un état de guerre et de violence permanent, imposant la nécessité des lois pour réguler ces comportements ? En revanche, pour Rousseau, les humains sont des êtres naturellement bons, innocents et purs qui seraient peu à peu pervertis par les constructions politiques.
Centrale en philosophie, la question de la violence est aussi présente très tôt en archéologie classique. Parmi les épisodes violents les plus célèbres, on peut citer l’épopée légendaire de Gilgamesh, ce roi de la première dynastie d’Uruk datée du 3e millénaire avant le présent dans le Sud mésopotamien. D’autres exemples existent dans l’Antiquité, mettant en scène des peuples celtes ou gaulois en guerre face à des Grecs ou des Romains. Quant est-il dans les sociétés humaines très anciennes, celles du Paléolithique.
Avant l’avènement d’Homo sapiens, les préhistoriens ont quelques traces synonymes de coups violents sur des ossements humains, elles ne suffisent pas à attester l’homicide volontaire entraînant la mort. Chez les Néandertaliens, on trouve ça et là des traces de fracturation intentionnelle sur des os frais ou des traces de découpe provoquées par des tranchants en pierre sur les os. Dans certains cas, ces pratiques post-mortem reflètent une pratique anthropophage, aujourd’hui clairement attestée dès 800 000 ans avant le présent. Des pratiques cannibales qui sont donc très anciennes et ici attribuées à une espèce humaine fossile qui serait proche du dernier ancêtre commun entre les Néandertaliens et Homo sapiens. Il existe également d’autres témoignages d’une pratique cannibale chez les Néandertaliens, entre 100 et 50 000 avant le présent sur au moins 6 gisements européens. Mais rien dans ces pratiques ne vient plaider pour l’homicide volontaire entraînant la mort !
Première évidence
La première évidence significative d’une violence entre individus est illustrée par un cas isolé vieux d’environ 450 000 ans. À Atapuerca (Espagne), des individus se sont affrontés au corps à corps et les coups ont alors entraîné la mort, comme en témoignent certaines traces évidentes (photo 1). Un crâne en particulier porte les stigmates de deux perforations létales sur l’os frontal, interprétées comme le résultat de deux coups portés par la même arme contondante dans un face à face. Il y a plusieurs centaines de milliers d’années, un individu en a donc tué un autre ; preuve d’un comportement agressif, mais pas de phénomènes violents collectivement constitués.
Au Paléolithique récent, à partir de 45 000 ans avant le présent, les populations d’Homo sapiens à l’origine de la diversité actuelle arrivent en Eurasie : multiplication drastique des armes de chasse en silex ou en bois de cervidés, parures ornementales faites en coquillages, en pierre ou en matières dures animales. Les traces irréfutables de violence collective restent minces. Sur les parois des grottes, l’art figuratif ne représente pas, ou très peu, de scènes de violence, hormis les quelques humains transpercés de traits que l’on découvre à Cougnac ou Pech Merle et qui peuvent très bien figurer des scènes d’accidents de chasse ou des sacrifices symboliques.
Une découverte fondatrice
C’est du nord du Soudan que nous vient une découverte tout à fait exceptionnelle réalisée au début des années 1960 par Wendorf. La nécropole fouillée, appelée Jebel Sahaba, est très singulière : aux alentours de 13 500 ans avant le présent, au moins 64 sujets y ont été inhumés en position fléchie, le plus souvent déposés dans des fosses ovales recouvertes de dalles peu épaisses : il s’agit du premier grand ensemble funéraire de l’histoire de l’humanité, le premier cimetière en quelque sorte.
L’analyse anatomique des lésions à Jebel Sahaba révèle une violence humaine et sont réalisées principalement avec des armes à projectiles, notamment des lances et des flèches. D’autres lésions, comme les fractures cicatrisées des avant-bras ou des os de la main, ou certains traumatismes crâniens, témoignent, elles, de combats rapprochés. Plusieurs individus présentent aussi des traces d’impact de projectiles ayant causé la mort, des blessures par arme de jet antérieures qui ont cicatrisé, indiquant de multiples événements violents tout au long de la vie d’une personne. Ces lésions montre également que les traces de violences ne se limitent pas à une catégorie de personnes : les femmes, les hommes ainsi que les enfants ont été touchés.
Le dépôt différé d’individus est le signe d’épisodes de violence récurrents à petite échelle entre membres de communauté différentes, sous forme d’escarmouches, de raids ou d’embuscades. Ce type de guerres, de faibles magnitudes, est assez similaire aux exemples documentés par les ethnologues et ethnoarchéologues au sein des sociétés de chasseurs-pêcheur-cueilleurs plus récentes.
Sources : Les populations de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique de Isabelle Crèvecœur et Nicolas Teyssandier, Lethal Interpersonal Violence in the Middle Pleistocene, Atapuerca : patrimoine mondial de l’Humanité